Se
comprendre pour vivre
Cette réflexion, fruit d’une compréhension, mène à l’abandon de toutes
les notions de la recherche spirituelle. Il n’est pas question d’une
théorie de plus, mais plutôt d’une démarche individuelle visant à
sortir de nos croyances par l’intelligence et la réflexion.
Se comprendre pour vivre
signifie : comprendre ce que nous ne sommes pas pour vivre ce que nous
sommes.
Pour plusieurs raisons, il est impossible de décrire ce que nous
sommes.
Premièrement, parce que cet état résulte de la dissolution de la mémoire
du passé, des croyances qui ne sont rien d’autre que le produit de la
pensée.
Deuxièmement, parce qu’il s’agit d’une sensation toute personnelle.
Ensuite, si nous pouvons définir ce que nous sommes, cela signifierait
que nous en avons déjà connaissance. Au cours de cette présentation nous
comprendrons que le savoir nous relie irrémédiablement au passé, ce qui,
par conséquent, nous empêche de vivre notre monde avec
un regard constamment neuf.
Lorsque nous définissons ce que nous croyons être, le désir ou la
volonté d’atteindre cet état spécifique, relève d’une croyance qui nous
demande d’adopter des comportements préétablis. Cette définition étouffe
d’emblée l’immédiateté de ce que sommes. Pour ces raisons, il est
évident que toutes les méthodes spirituelles, philosophiques et
psychologiques mènent toujours à
une définition ou à l’application d’un concept que l’on s’imposerait.
Nous entamerons la partie « se comprendre » pour vivre, par une
question simple que nous nous sommes probablement déjà posée : Qu’est
ce qui nous rend la vie parfois si pénible, qui nous fait entrer dans le
conflit, dans la dépression, dans la maladie, dans la souffrance, dans
la passion… ? Posée autrement cette même question peut nous sembler
plus embarrassante, car elle vient toucher nos croyances de plein fouet
: Qu’est ce qui nous pousse à courir après la paix, l’harmonie, la
santé, le bonheur, l’amour inconditionnel… ?
Notre existence étant entièrement basée sur notre passé nous imaginons,
en comparaison avec ce que nous connaissons du monde, un paradis
terrestre ou un état intérieur parfait. Ces projections merveilleuses
émanent d’une attente issue d’une comparaison entre ce que nous croyons
être et ce que nous voudrions être. Par le désir d’autre chose que soi,
nous entrons en conflit avec le monde.
Il est à noter qu’il n’existe pas
de séparation entre ce que nous appelons intérieur et extérieur. Cette
séparation entre soi et le monde est purement conceptuelle, car
l’extérieur n’est que la conséquence immédiate de nos croyances, nos
conditionnement, nos peurs, nos projections, notre cupidité...
Lorsque nous sortons de la simple constatation de la globalité, nous
sommes dans le passé. Par globalité, il faut entendre ce qui est,
autrement dit tout ce qui compose la réalité – soi-même compris - sans
séparation entre l’intérieur et l’extérieur, entre soi et l’autre. Que
je regarde le monde ou que je vive une sensation, je perçois toujours la
même chose.
Si nous ne vivons pas cette globalité, nous ne pouvons qu’interpréter le
monde à partir de notre passé. Jusqu’à présent aucune théorie politique
ou spirituelle n’a réussi à résoudre ce conflit fondamental entre soi et
l’autre. Aucune doctrine, spirituelle ou politique, ne nous invite
réellement à vivre la globalité, car elles reposent toutes sur des
croyances fondatrices que sont la liberté, la fraternité, l’amour, la
compassion…
Pour sortir de notre passé, synonyme de croyances, il est nécessaire de
comprendre la manière dont nous envisageons notre existence autour
d’événements. Comment nous considérons ces événements à partir de notre
passé tout en continuant à l’alimenter par nos interprétations.
Il est important de lire les propos qui suivent à partir de notre
intelligence et pas, comme nous avons tendance à le faire, à partir de
nos concepts, ni en cherchant à savoir si les propos tenus correspondent
ou non à nos croyances ou à ce que nous avons lu, entendu ou expérimenté
précédemment. Soyons juste à l’écoute, sans interférences, et ressentons
ce qui se passe en nous. Car comprendre sans interférer, c’est tout
autre chose que juste acquiescer, comparer ou réfuter.
Qu’est ce que notre passé ?
Comment influence-t-il l’idée que nous nous faisons du présent, et par
conséquent du futur ? Comment le passé nous déconnecte-t-il de ce que
nous sommes ?
Habituellement, nous interprétons le monde en créant une multitude
d’événements à partir de pensées qui prennent leur source dans ce que
nous avons emmagasiné comme connaissances, nous appartenant ou non, ce
qui revient en définitive à la même chose. Nous comparons ce que nous
percevons avec notre passé, c’est-à-dire avec l’accumulation de tout ce
que nous avons comparé et retenu d’événements précédents. En d’autres
termes, sur la base d’événements passés, nous créons de nouveaux
événements qui nous remplissent de nouvelles croyances ou du moins
renforcent les anciennes.
Les événements de nos existences ne sont en définitive qu’une
interprétation résultant de notre passé. Ainsi, créer un événement,
c’est ajouter quelque chose à la réalité. A ce moment, nous sortons de
la réalité pour entrer dans l’illusion. Par exemple, devant un paysage
notre première réaction est généralement d’interpréter ce que nous
voyons ; ce qui nous empêche de le vivre. Nos premières réactions
sont souvent : c’est beau, c’est laid, ce lieu s’appelle ainsi, je
connais, je l’ai déjà vu... Dès lors, percevons-nous ce paysage comme
faisant partie de notre globalité ou faisons-nous l’expérience du
concept « beau », c'est-à-dire de la comparaison de ce que nous voyons
avec les souvenirs que nous avons emmagasinés ? Ne sommes-nous pas
simplement dans notre pensée qui catalogue la réalité en fonction du
beau et du laid, du moyennement beau et du très laid ?
Ainsi, comparer un paysage à un autre, un humain à un autre, un animal
à un autre, un végétal à un autre… nous pousse constamment dans le déni
de notre globalité.
Nous interprétons un événement en nous basant sur notre passé qui, lui,
donne naissance à la pensée conflictuelle qui nous entraine dans
des combats incessants.
La pensée conflictuelle n’est qu’une question de dualité et d’identité,
c'est-à-dire d’idéaux, de croyances, de justifications,
d’interprétations… Pour mieux le comprendre, arrêtons-nous un instant à
ce que nous appelons la guerre, qui n’est que l’expression la plus
meurtrière du conflit.
La guerre est le fidèle reflet de nos conflits personnels. Elle se
manifeste dans tous nos comportements et pas uniquement avec des armes
lourdes, mais avec des mots, des gestes, des regards, des concepts, des
croyances. La guerre est un conflit entre deux croyances, entre deux
interprétations, entre deux appartenances politiques ou religieuses qui
nous font considérer l’autre comme différent de soi.
Nous nous identifions en tant qu’homme ou femme, blanc ou noir, grand ou
petit, généreux ou égoïste, adepte d’une religion, d’un parti politique,
victime d’une situation, comme étant dans la vérité de dieu ou sous la
protection d’une nationalité…
Le simple fait de se définir crée déjà une séparation, un conflit,
c'est-à-dire un événement. Si un jour, notre voisin d’en face nous
adresse une parole estimée diffamatoire, donc qui agresse une de nos
croyances, nous entrons en conflit. Nous pourrions l’insulter, le
frapper, le poursuivre en justice, voire sortir les armes. En restant
obnubilé par les événements et leur interprétation, nous entrons dans
une guerre où le voisin de mon voisin d’en face, qui partagent des mêmes
croyances, s’unissent contre moi et mon voisin d’à coté qui partageons
d’autres croyances. Le conflit entrainant le conflit, la machine
dévastatrice de la pensée conflictuelle est en marche.
Souvent nous arrêtons les conflits soit par manque de moyens humains ou
matériels, soit en signant une paix qui n’est que le revers de la
médaille de la guerre.
Dans ces deux cas, la situation reste inchangée. La paix n’arrête pas
les conflits, elle les camouffle simplement. Avec la paix, la
problématique conflictuelle est toujours bien présente, car nous n’avons
pas reconnu nos croyances, c'est-à-dire notre identité. Ainsi la paix
est un concept au même titre que la guerre.
Le fait que la paix et la
guerre n’apportent aucune compréhension et donc aucun changement dans
nos croyances soulève la question du comment en sortir ? Comment vivre
si nous ne pouvons pas prendre appui sur l’aspect positif de nos
qualités ?
La manière d’aborder nos problèmes nous amène généralement dans une voie
sans issue, que ce soit un conflit intérieur, révélé par exemple par un
dégout de soi, ou un conflit extérieur, révélé par exemple par l’échec
d’une relation amoureuse.
Nous tentons toujours de justifier nos actes. « Je le quitte parce qu’il
m’a dit que j’étais égoïste, lorsque lui-même est macho », « Le fait
qu’il soit venu avec son avocat m’a fait entrer dans une grosse colère
et j’en ai tout de suite pris un aussi », « Je ne m’aime pas parce que
je ne suis pas assez altruiste ou parce que mes fesses sont trop… ».
Cette justification appelle à des réactions qui ne tiennent pas compte
de la globalité de la situation. Il en va de même dans les guerres,
entres adeptes de religions ou de politiques différentes. Sous prétexte
d’obtenir réparation, nous justifions une vengeance, qui entrainera
inévitablement un nouvel appel à la vengeance. Et bien souvent, au bout
du compte, plus personne ne connait les raisons exactes du conflit, car
la haine et la vengeance ont pris le dessus et suffisent pour justifier
nos actes.
Dans toutes situations conflictuelles, ne serait-il pas plus simple de
reconnaître nos émotions sans chercher à les justifier et donc à nous
déresponsabiliser. Pour in fine, se rendre compte que la douleur d’une
mère, d’un père, d’une sœur… est la même pour tous les êtres humains,
que les belligérants vivent des souffrances identiques, même s’ils les
justifient différemment à partir d’une futile identité religieuse ou
politique.
Dans le cas d’une séparation amoureuse, plutôt que
d’entrer en conflit, ne serait-il pas plus simple de reconnaitre un
sentiment de tristesse basé sur l’espérance déçue d’une vie heureuse,
d’une peur de la solitude ? Cette perspective qui nous invite à vivre,
est-elle empreinte d’amour, d’unité… ou est-elle simplement un état sans
séparation identitaire avec l’autre ? Autrement dit, avons-nous besoin
de contacter des qualités ou avons-nous simplement à prendre conscience
de nos pensées, de nos émotions, de nos faits et gestes ?
Pour éviter de nous regarder sans détours et sans jugement, juste tels
que nous sommes dans notre vie quotidienne, nous avons inventé, entre
autres, « la spiritualité » ou « le retour à une source »… Mais cette
recherche d’autre chose présente un énorme revers, car les êtres engagés dans
la spiritualité souffrent plus que les autres. En effet, ils ont
beaucoup plus de croyances et donc plus de difficultés à les lâcher.
La spiritualité est un piège tendu par la pensée, elle vise seulement à
expérimenter ce que nous croyons être. La spiritualité, religieuse ou
new-age, est toujours liée à des concepts qui n’existent que parce que
nous ne vivons pas dans la simplicité de ce qui est et surtout, parce
que nous comparons notre état actuel avec un état imaginaire de
perfection divine. Au cours des siècles les dogmes spirituels n’ont pas
changé. Ils se basent tous et toujours sur les mêmes concepts et, par
conséquent, nous imposent des comportements similaires qui nous
déconnectent de la réalité. Dans la spiritualité, nous rencontrons
fréquemment les mêmes termes : la source et les maîtres, le cœur et
l’incarnation, la vie et le karma, le soi divin et l’amour, les énergies
et les vibrations, la compassion et la paix intérieure, le bien et le
mal, l’instant présent, les chakras…Issus de notre pensée, tous ces
concepts sont imaginaires et par conséquent accessibles que par le bais
de la pensée.
L’éveil, l’instant présent et l’amour sont trois concepts spirituels
qui, à eux seuls, peuvent expliquer pourquoi la spiritualité nous
entraine dans une détresse.
L’éveil
est l’objectif commun des chercheurs spirituels. Ce seul concept suffit
à dévaster nos existences en nous déconnectant de la réalité. L’idée
véhiculée par la notion d’éveil, (même ce que nous présumons être
l’éveil du Bouddha ou de Jésus), instille la perspective d’un état de
perfection, d’une ultime compréhension, de l’excellence de nos qualités.
L’éveil serait cet état où notre part d’ombre disparaitrait complètement
au profit de notre lumière intérieure. Le danger de cette croyance est
qu’elle nous garde dans un conflit permanent avec ce que nous
ressentons.
Nos émotions sont des leviers de compréhension lorsqu’elles ne sont pas
étouffées par la spiritualité, l’interprétation ou la justification.
A partir d’un ressenti considéré comme négatif, nous installons très
rapidement une qualité considérée comme positive. Nous avons souvent
tendance à camoufler une colère sous une apparence de joie ou d’amour
inconditionnel. Pour y arriver nous pensons qu’un soin énergétique, une
méditation ou une gymnastique orientale… peuvent nous aider. Cependant,
après ces diverses pratiques, pouvons-nous constater qu’en dehors d’une
apparence de bien-être que l’on attribue à la reconnexion avec notre
identité spirituelle, rien n’a fondamentalement changé ? Ce jeu peut
durer jusqu’au jour ou nous réalisons que nous sommes passés à coté de
la vie par la volonté d’atteindre un état prédéfinit.
En nous déviant de notre capacité à nous comprendre, la spiritualité
nous entraine dans la culpabilité et l’attente. Elle impose une vérité :
« prête-à-croire » qui, par définition, ne peut en aucun cas nous
convenir. Si elle devait néanmoins nous convenir, c’est que nous aurions
fait une croix sur notre liberté et notre intelligence.
A l’instar de tous les dogmes
religieux ou politiques, la spiritualité a la principale tare de nous
empêcher de penser par nous-mêmes, par conséquent de laisser émerger nos
sensations sans les traduire en pensées, c'est-à-dire sans croyance,
sans définition.
Il existe également le concept du vide qui précède l’éveil : le
fameux saut dans le vide, le lâcher-prise absolu avant la rencontre avec
notre essence divine. Ce que nous sommes n’est pourtant ni vide ni
plein, ni rien ni tout. Comment expérimenter le vide sans connaître
le tout ? Avec la notion du vide précédent l’éveil,
n’inventons-nous pas un prétexte afin de ne pas affronter nos croyances
par une compréhension personnelle qui pourrait nous bouleverser ?
Nous camouflons la peur de ce bouleversement sous des prétextes comme :
attendre le bon moment, une avancée spirituelle individuelle ou
collective, un signe du ciel, un voyage initiatique...
Un autre aspect pernicieux de la spiritualité est celui de nous
maintenir dans le temps. En insinuant l’existence de l’instant
présent, nous nous figeons dans la pensée. Pouvons-nous
réellement vivre l’instant présent sans la notion de temps, de passé et
de futur ? Cet instant présent n’est-il pas encore une fuite vers
un état conceptuel auquel nous devrions constamment revenir par la
pensée ?
Le concept spirituel et social le plus résistant, après l’existence de
dieu ou d’une énergie créatrice, est celui de l’amour. Mais
cet amour, que nous sommes si nombreux à évoquer, ne serait-il qu’un
concept, qu’une illusion ? Absolument, car il suffit de penser à
l’amour pour expérimenter l’idée que nous nous en faisons. La pensée
crée l’état, c’est-à-dire l’expérience. Si nous focalisons notre
attention sur, par exemple, un mal de tête, quelques minutes suffisent
pour effectivement le ressentir. Il en est de même si nous nous
focalisons sur l’amour.
Cette expérience de l’amour, issue de notre pensée,
nous a-t-elle réellement transformés ? Evidemment non, car c’est simplement la
non-reconnaissance d’une émotion ou d’une croyance qui nous fait nous
réfugier dans le concept amour.
En plus des concepts d’éveil et d’instant présent, la spiritualité nous
parle d’unité et de paix lorsqu’il suffit de comprendre –
individuellement - les fondements de nos conflits avec soi, l’autre et
le monde. La spiritualité nous bassine d’énergies et de vibrations, de
plans et de dimensions, d’anges et d’êtres de lumière, d’une terre mère
et d’un père divin, de matière et d’éther, de protection et de
bienveillance venues d’en-haut... Tous ces concepts nous nous délient
complètement de la simplicité de l’existence.
Les théories et techniques spirituelles nous apprennent à écouter la
voix du cœur, à expérimenter une expansion de conscience, à étouffer un
mental dont il faut absolument se séparer, car il serait notre principal
obstacle. Ces croyances sans fondement jalonnent notre impossible quête
et nous pousse à acquiescer à n’importe quoi. Enfants nous croyons à
l’histoire merveilleuse du père Noël narrée par nos parents, adultes
nous continuons à croire en d’autres histoires racontées par des
enseignants spirituels ou des éminences politiques sans plus de
réflexion. Toutes ces histoires entrainent à la longue une distorsion de
la perception du monde. La pathologie principale de l’être spirituel est
de croire que la réalité de l’être réfléchi n’est qu’une illusion issue
du mental, et inversement, ce qui pour l’être réfléchi est de l’ordre de
la pensée, c’est-à-dire une illusion, devient la réalité de l’être
spirituel.
Que nous reste-t-il si l’ensemble de la spiritualité
est conceptuel ?
Il reste que ce que nous considérons comme notre identité et les
tourments qui l’accompagnent, néanmoins délesté de tout ce qui nous
empêchait de nous en libérer par une réflexion saine, libre et
personnelle.
Si la spiritualité est une
grande illusion, comment sortir de la pensée conflictuelle ?
Paradoxalement par la pensée elle-même, car seule la pensée peut
comprendre la pensée. Le mental ne connait pas la clef de notre
libération, il en est la clé. Il ne s’agit pas de trouver une vérité
absolue mais bien sa propre vérité. Une vérité qui nous correspond et
qui nous permet de comprendre comment nous fonctionnons par la pensée.
Comprendre comment nos croyances provoquent des réactions plutôt que des
actions qui, elles, seraient notre libre expression.
Il n’est donc pas question d’adopter de nouvelles propositions
spirituelles qui viendraient remplacer ou renforcer une croyance
existante. Il ne s’agit pas non plus de se comprendre à partir de nos
croyances, car dans ce cas, nous partirions sur du connu (notre mémoire,
notre passé, nos souvenirs, c'est-à-dire ce qui n’existe plus), ce qui
nous empêcherait de voir l’évidence d’une compréhension qui nous ramène
à soi.
Il est également impératif de sortir des techniques, des rituels et de
la notion de chercheur qui n’ont pour seul objectif que d’expérimenter
des concepts. Nous n’avons pas à trouver un état spécifique mais à vivre
nos émotions même si elles peuvent sembler, au regard de notre
conditionnement social ou spirituel, peu reluisantes, manquant de
sagesse, de noblesse ou de divin…
Pour sortir de la pensée nous n’avons qu’à vivre nos émotions
lorsqu’elles se présentent, sans les définir, sans fuir dans la
justification ou l’interprétation de notre passé ou de nos présumées
vies antérieures. Nous accusons les autres et les événements d’être la
cause de nos souffrances, de nos déceptions… Ces accusations placent
notre responsabilité à l’extérieur de nous (mon père m’a menti, ma
grand-mère ne m’aime pas, je porte un secret familial trop lourd, mon
mari me trompe, la société me manipule, la pluie me dérange, le chien du
voisin m’énerve…).
Si se comprendre pour vivre est une démarche qui semble (trop) simple,
cela s’avère parfois difficile. En effet, lâcher nos croyances, qui sont
le fondement de nos existences, est une expérience inédite que nous ne
pouvons pas envisager aisément. En voici les raisons majeures :
- Nous avons pris l’habitude socialement, politiquement et
spirituellement de remplacer une croyance par une autre. Nous
passons du communisme au fascisme ou du socialisme au libéralisme à
partir de l’interprétation que nous nous faisons de la politique et en
fonction de nos attentes extérieures. Il en va de même pour la
spiritualité, nous passons d’un thérapeute à l’autre, d’une technique à
l’autre, d’une promesse à l’autre parce que nous n’y trouvons pas ce que
nous attendons. Comme en politique, la machine des nouveaux concepts est
très lucrative car elle répond à une demande de bonheur qui viendrait de
l’extérieur.
- Nous cherchons constamment à l’extérieur quelque chose que nous
ne trouverons pas davantage à l’intérieur.
- Il n’est également pas aisé de concevoir que ce que nous sommes (notre
globalité) ne peut être défini. Dès que nous croyons connaitre un état
de conscience de soi, nous ne faisons que reconnaitre une croyance. Dès
lors, nous cherchons par tous les moyens de retrouver cet état connu.
Nous avons tellement l’habitude d’entreprendre une démarche pour obtenir
un résultat, qu’envisager de se comprendre sans attente est
inacceptable.
- Se comprendre passe inévitablement par une émotion dite négative
comme une souffrance, un conflit. C’est au moment où nous tentons de
fuir en remplaçant une émotion par une autre, que nous devons être le
plus vigilants afin de ne pas chercher une solution plutôt que de vivre
ce qui se passe en nous.
- La réflexion qui mène à la compréhension passe inévitablement par
le mental. Le mental ou l’égo sont souvent mal considérés dans la
spiritualité. Donnant la préférence aux expériences vécues à partir du
cœur, notre tête serait un obstacle.
- Nous sommes constamment à la recherche d’autre chose que soi.
Cette attente qui nous pousse vers l’extérieur est très répandue, autant
dans la spiritualité que dans la vie sociale. Nous cherchons souvent une
satisfaction immédiate censée nous soulager de nos émotions
dérangeantes. En nous occupant des autres, en lisant des récits
fabuleux, en priant ou en méditant nous faisons, plus au moins
inconsciemment, l’impasse sur nos souffrances. Nous espérons changer les
autres, la société et le monde afin qu’ils correspondent à notre
croyance en un monde juste, équitable, paisible, libéré de la corruption
et de la manipulation… Nous souhaitons des changements intérieurs ou
extérieurs au lieu d’aller à la rencontre de ce qui crée en nous-mêmes
ce monde injuste, inégal, en perpétuel conflit. Cette compulsion à
vouloir changer le monde extérieur nous éloigne de la vie. Vivre exige
de sortir de la fuite et de l’espoir. Vivre demande d’écouter ses
pensées, quelles qu’elles soient, de lâcher la notion du bien et du mal,
de se libérer de l’attente d’une vérité ou d’un changement extérieur ou
intérieur…
C’est pour ces raisons qu’une démarche sans techniques, ni vérités toutes faites, peut paraitre ardue. Nous n’avons pas l’habitude non seulement de reconnaître, mais d’écouter nos émotions. Il est plus rassurant d’inventer un concept pour s’y réfugier que de réaliser que nous sommes entièrement responsables de notre existence. Il n’est pas évident d’admettre que, tôt ou tard, nous devrons lâcher toutes nos connaissances, exception faite de la pensée pratique.
Devenir des penseurs avertis
et non plus des êtres soumis.
Nous pouvons devenir les penseurs avertis de notre existence en entrant
dans une logique de compréhension. Lorsque nous comprenons que les
racines du passé conditionnent notre existence, nous nous en libérons.
Sans cela, nous entretenons notre malaise en nous focalisant sur autre
chose que ce que nous vivons.
Se comprendre demande d’utiliser ce que nous partageons tous au-delà de
nos apparentes différences culturelles, sociales ou philosophiques :
l’émotion et la pensée. Il n’est plus question de qualités
exceptionnelles, de niveau spirituel, d’intelligence littéraire ou
scientifique. En d’autres mots, l’émotion et la pensée sont les racines
de notre reliance, pour autant que nous les exprimions telles quelles,
sans justification ou interprétation.
Cette intelligence nous mène en droite ligne à notre véritable nature
humaine. Nous pouvons enfin sortir de la pensée conflictuelle, du temps,
de nos croyances, de nos peurs, de nos doutes, de nos attentes… Cela
procure une sensation inexplicable, juste à vivre. Cette démarche ne
s’arrête jamais, elle mène à une compréhension de plus en plus profonde,
à une reconnaissance de plus en plus affinée de notre ressenti.
Se comprendre pour vivre mène inéluctablement l’être humain à sa
globalité par la compréhension de ce qu’il n’est pas. Ce comprendre
c’est finalement réaliser l’évidence que rien n’est séparé. Avec notre
intelligence nous sortons du conflit (intérieur et extérieur), pour
enfin réaliser l’envergure de l’être l’humain conscient de ce qu’il est.