Piège de la spiritualité
Sommes-nous réellement à la recherche d’une nouvelle terre ou de dieu ?
Ne suffirait-il pas simplement de découvrir ce que nous sommes plutôt
que de se perdre dans les méandres de nos croyances qui définissent un
état que nous ne sommes pas ?
Le piège de la spiritualité
Le monde de la spiritualité repose sur une séparation séculaire entre ce
que nous croyons être et ce que nous devrions et voudrions être par
l’effet constant de la comparaison. Dans l’aventure spirituelle nous
avons inventé un merveilleux imaginaire initié par un ensemble de
croyances basées sur la dualité. Dans les théories spirituelles nous
retrouvons souvent les notions de plan astral ou de plan divin entre
lesquels nous sommes tiraillés, de dimensions énergétiques qui nous
influencent, de fabuleux êtres de lumière et d’amour, d’un espace
intérieur divin… Toutes ces croyances trouvent leur origine dans notre
dualité intérieure qui nous sépare en pur et impur.
La spiritualité et le social nous proposent d’adopter des comportements
standardisés et pathologiques. Du point de vue de la spiritualité, ces
façons d’être sont censées favoriser la transformation de l’humain en un
être divin, c'est-à-dire, en un être éveillé ayant atteint l’ultime
connaissance de ce qu’il serait au regard d’une théorie dogmatique dans
un grand mouvement planétaire entrainé par l’amour ou l’unité. Du point
de vue social, ces façons sont censées stimuler les comportements
intégrateurs favorisant l’épanouissement du statut social et financier
ayant pour objectif une prospérité collective. Ces comportements, issus
de nos croyances, nous maintiennent dans un état illusoire. A partir de
cette optique dualiste, nous restons divisés entre le bien et le mal,
entre le haut et le bas, entre le profane et le sacré, entre soi et un
dieu imaginaire.
Dans de telles conditions, comment vivre librement ?
Tant qu’une croyance nous entraine vers l’extérieur ou l’intérieur, elle
installe une séparation. Au fil des siècles, le piège de la spiritualité
n’a pas changé. Supposée nous apporter une ouverture à soi, elle stimule
plutôt des croyances en des entités protectrices et salvatrices, en de
nombreuses prophéties de non-événements, en des qualités estimées
supérieures, nobles ou divines... In fine, nos croyances, quelles
qu’elles soient, nous déconnectent de la réalité en nous empêchant de
vivre sans attentes ni conditions.
Comprendre pour sortir du concept de dualité
La dualité n’appartient pas à l’humanité ou au monde, elle est
simplement le fruit d’une séparation au niveau de l’individu. Si nous
faisons abstraction de leurs polarités ombre et non-amour, les notions
de lumière et d’amour, sur lesquelles l’accent est fortement mis
actuellement, peuvent expliquer en partie le piège de la spiritualité.
D’où la nécessité de reconnaître, qu’à l’instar des revers d’une
médaille, les pôles de toutes les dualités sont indissociables et
alimentent nos croyances. Aujourd’hui comme hier, la spiritualité met
l’accent sur l’amour supposé nous relier, sur la lumière d’en haut
censée nous éclairer et sur les énergies terrestres et cosmiques
présumées nous accompagner dans l’élévation de notre conscience. Dans
cette croyance, il manque une compréhension essentielle : nous ne
pouvons pas choisir le sacré sans faire référence au profane, dieu sans
faire référence au diable, la joie sans faire référence à la tristesse,
la paix sans faire référence à la guerre…
C’est particulièrement la tendance à nous accrocher à la polarité dite
positive, en reniant son aspect dit négatif, qui nous pousse
continuellement dans la souffrance. En effet, ce n’est pas en camouflant
un sentiment de tristesse - généré par une peur - derrière une attitude
de joie forcée que nous pouvons transformer notre état intérieur. Ce ne
l’est pas davantage par le biais de brassages énergétiques, par la
méditation ou par divers rituels. Nous comptons souvent sur ces
pratiques pour nous aider dans notre transformation, alors qu’elles
auraient plutôt comme effet de nous éloigner de la compréhension que
nous sommes individuellement les instigateurs des croyances qui donnent
vie à nos peurs. Si nous souhaitons vivre une véritable révolution
intérieure, il est indispensable de voir que nos émotions créent la
dualité et, finalement, de comprendre que nous n’avons qu’à dé-créer
toutes nos croyances.
Pour vivre, il est nécessaire de lâcher toutes nos croyances en
reconnaissant leur nature duelle et leur impact sur notre existence.
Cette compréhension révèle une « expérience » inédite : notre nature
intrinsèque, ce qui reste lorsque nous sommes libérés de toutes nos
croyances. Cet état n’est pas définissable car il n’exprime plus les
qualités de l’un ou de l’autre pôle.
Vivre
Pour vivre, nul besoin de religions, de dieux, de maîtres, de
cérémonies, de méditations ou d’énergies. Si les méthodes
politico-religieuses portaient leurs fruits, si l’égalité et la
fraternité, si l’amour et la lumière ou les événements extérieurs
sociaux ou énergétiques créaient du changement, il y a bien longtemps
que nous aurions arrêté de chercher. En effet, personne ne peut réaliser
ce que nous sommes à notre place que ce soit un politicien, un maître,
un thérapeute, un guide...
Pour réaliser cela, nous disposons d’un atout majeur : la pensée. Sans
cette dernière, que certains tentent encore de déconnecter de soi par de
longues méditations ou de futiles techniques, nous ne connaîtrions pas
les émotions, uniques moteurs de libération. Il est pernicieux de
camoufler les émotions sous quelques rituels ou croyances spirituels.
Nos émotions parlent de nous, elles révèlent la façon dont nous
percevons et créons le monde à partir de nos croyances. Pour vivre nous
devons au préalable rencontrer toute la palette de nos émotions ainsi
que les croyances qui leur donnent vie par la reconnaissance de ces
mêmes croyances. Lorsque tombent les techniques, les dogmes et les
rituels, il ne reste que la pensée issue de ce mental que la
spiritualité tente d’éliminer. Paradoxalement, la pensée crée la
croyance et permet d’expérimenter toute une série de concepts comme
l’amour, la lumière, le soi divin, l’unité… La pensée peut également
nous révéler à nous-mêmes. Elle est soit le levier de notre souffrance
car elle stimule allégrement toutes nos croyances et les conflits qui en
découlent, soit elle est ce partenaire permettant de comprendre le vaste
processus de la séparation.
Bien souvent, notre recherche d’autre chose - autre état - cache une
crainte de se confronter à ce que nous vivons vraiment. Il est souvent
plus pratique de s’adonner à l’exercice d’une religion qui nous propose
que du merveilleux plutôt que de faire face à notre souffrance, notre
peur.
Se libérer de toutes nos croyances rend possible la vie. Cette
libération n’est pas synonyme d’éveil, car la notion d’éveil relève
encore d’une séparation entre ce que je suis et ce que je crois devoir
être ou devenir.
Vivre n’apporte rien, c'est-à-dire qu'il n'y a rien à attendre. Le sens
de la vie étant la vie elle-même.
Lorsque la croyance laisse la place à ce que nous vivons réellement,
nous éprouvons une sensation qui inclut notre globalité sans plus
d’écart, de jugement ou de séparation. Cette globalité n’est ni unité,
ni amour, ni compassion...
Vivre n'inclut pas la pernicieuse séparation spirituelle entre les
concepts de cœur, de corps, de mental, d'intérieur et d’extérieur. La
globalité est ce qui reste lorsque nous cessons d’interpréter le monde à
partir de notre pensée qui, par la comparaison, cherche constamment à
identifier ce qui nous entoure. La comparaison prend racine entre notre
connaissance, fruit d’expériences passées formant un amalgame de
croyances, et ce que nous percevons réellement. Ainsi, lorsque nous
somme par exemple face à un paysage, notre première réaction est souvent
une interprétation plutôt qu’une constatation : « c’est beau », « c’est
laid », « je connais… ». Dès lors, percevons-nous le paysage comme
faisant partie de la globalité ou faisons-nous l’expérience de ce que
nous connaissons déjà ? Autrement dit, vivons-nous ce qui est dans la
réalité ou expérimentons-nous ce que nous connaissons au travers de
concepts comme le beau ou le laid ?
Notre tendance à qualifier les choses de positives ou de négatives ne
fait qu’alimenter nos dualités, nos croyances et nos souffrances.
Dans cette optique, l’espoir de la paix planétaire devient presque un
crime contre l’humanité. Cette espérance n’existant pas sans la
connaissance préalable de la guerre, la focalisation de la pensée sur
une polarité d’une dualité -
exercice spirituel par excellence
- comme la paix, entraine inévitablement l’émergence de l’autre
polarité, la guerre. Il en va de même pour toutes les qualités, y
comprises les notions fondatrices de la spiritualité tels l’unité et
l’amour. Ce ne sont donc pas l’unité, l’amour ou les religions qui
relient les humains, mais bien la fin du conflit avec soi et l’autre. En
d’autres mots, comprendre pourquoi nous jugeons le monde, l’autre ou soi
nous permet de sortir de l’interprétation, c'est-à-dire de la pensée
conflictuelle pour enfin laisser place à ce que nous sommes. Ce que nous
sommes étant globalité, il n’y a plus d’écart, plus de séparation.
Lorsqu’une émotion de tristesse émerge, il est primordial de lui donner
toute latitude pour s’exprimer sans tenter de fuir dans la recherche
d’une satisfaction immédiate comme la joie, le bonheur, l’amour. Il est
donc important de reconnaitre une émotion ou un conflit sans lui
attribuer, par comparaison, la coloration de bon ou mauvais. La
définition de nos sensations entraine un écartèlement colossal entre ce
que nous vivons et ce que nous refusons d’envisager comme nous
appartenant pour des raisons de bienséances culturelles, philosophiques
ou spirituelles.
Afin que « vivre » ne devienne pas une nouvelle croyance, il est
indispensable de réaliser que l’état d’être est ineffable. Si toutefois
la pensée tentait de décrire cet état, nous entrerions à nouveau dans
une interprétation issue de notre connaissance accumulée et donc dans un
désir compulsif d’expérimenter à nouveau cet état. De ce fait, nous
cesserions immédiatement de vivre, car la volonté de réitérer cet état
se substituerait à notre liberté.
Il n’y a donc rien à chercher, rien à trouver, juste à se comprendre
pour vivre.
Novembre 2008